Comment est née cette idée ?
EdB : Comme beaucoup d’idées, d’une rencontre. A l’occasion d’une levée de fonds de Station Energy. Après avoir symboliquement investit dans cette start-up que je jugeais prometteuse, j’ai demandé à Alexandre comment je pouvais l’aider.
AC : Si Station Energy permet aux entreprises et agriculteurs d’accéder à des solutions propres et durables hors des réseaux électriques traditionnels, nous avions beaucoup de mal à trouver des financements pour les équipements collectifs. Les gens ont déjà du mal à s’équiper eux-mêmes, alors les biens communs, cela passe après.
EdB : J’ai donc demandé à Alexandre combien couterait l’équipement d’une école. Il est revenu avec un projet que je trouve révolutionnaire ! 6000 € pour équiper une école accueillant de 100 à 300 enfants.
Comment cela se passe concrètement ?
AC : Nous avons affiné le programme avec le temps. Nous équipons d’abord l’école en panneaux solaires ce qui permet de faire fonctionner l’éclairage nocturne et les ventilateurs la journée. Nous équipons aussi chaque école de prises et d’un ordinateur équipé de logiciels éducatifs apportés par l’association « informatique sans frontière ». Enfin nous équipons toutes les écoles de lampes portables rechargeables que les enfants peuvent emporter à la maison pour étudier et ramener le lendemain à l’école pour les remettre en charge. Les revenus de la location de ces lampes permettent également d’assurer la maintenance.
EdB : L’équipement part des problématiques du terrain. Il n’y a pas plus que nécessaire, mais tout ce qui est nécessaire. Une fois l’équipement créé, le challenge du village devient de l’entretenir, voire de l’améliorer.
Mais quel rapport entre l’activité de « Dans le Noir ? » et ce programme ?
EdB : Je me suis dit immédiatement que ce projet nous permettrait d’intensifier notre impact social. Plutôt que de sponsoriser des activités culturelles ou sportives en Europe.
Nous donnons depuis 10 ans 5 à 10% de nos profits à des œuvres caritatives. Nous avons donc décidé de concentrer la majeure partie de ces ressources sur ce programme. 100% de l’investissement va sur le terrain. Il n’y a pas d’intermédiaire et avec la solution solaire, le village devient autonome. L’entreprise peut évaluer directement l’impact de son aide.
AC : Au départ cela nous a fait sourire Edouard et moi qu’une entreprise dont la moitié du personnel est non-voyant amène la lumière à des voyants. Et puis tout cela a pris du sens. En fait, ne pas avoir de lumière pour étudier, c’est être partiellement aveugle. Cette chaine de solidarité devient exemplaire, voir spectaculaire !
Mais Ethik Investment est une entreprise. Qu’est-ce que cela vous rapporte ?
EdB : Les bénéfices pour l’entreprise sont multiples et inattendus. Il y a un effet mobilisateur. C’est même devenu un outil de RH. Par exemple, un de nos cuisiniers à Paris d’origine Sénégalaise est venu nous voir en demandant si l’on pouvait électrifier son village ! Ce sera fait à la fin de l’année avec une dérivation sur le dispensaire. Cela permet aussi de fédérer nos filiales autour d’un projet commun. Notre filiale Anglaise Dans le Noir Ltd a déjà financé 2 écoles. Notre filiale B to B, Ethik Connection, vient de financer sa première école, … Nos guides non-voyants ne sont pas peu fiers de cette initiative.
AC : Si le programme réussi, les retombées seront énormes, pour « Dans le Noir ? » comme pour les autres sponsors qui rejoignent le programme comme Aggreko qui vient de financer récemment une nouvelle école au Sénégal. Cela permet aussi de promouvoir les solutions proposées par Station Energy. L’électrification d’une école à un effet d’entrainement. Cela pousse les familles à s’équiper en réalisant les multiples bénéfices de ces équipements sur l’éducation, les services, l’information, la santé, …. Ils profitent de nos solutions de financement. L’impact social est démultiplié sur le terrain.
Pensez-vous que cela soit vraiment efficace ?
EdB : Je pense que nous sommes ici au cœur de l’action. Beaucoup de gens parlent beaucoup mais ne font pas grand choses sur le terrain. C’est très bien dire dans les médias qu’il faut électrifier l’Afrique, que c’est un enjeu majeur, etc… Le problème c’est qu’il y a une courbe d’apprentissage. Même si on trouve de l’argent, encore faut-il apprendre à l’utiliser intelligemment. Sans en consacrer la majeure partie à des organisations rigides et couteuses.
AC : C’est vrai. Depuis que ce programme est en place nous avons beaucoup appris. Nous avons par exemple identifié certaines résistances dans les villages. L’éducation moderne n’est pas forcément du goût de tout le monde.
Vous croyez donc à l’impact de ce programme !
AC : Bien sûr, je pense qu’il faut être lucide, nous n’en somme qu’à une phase pilote. Il y a des milliers d’écoles à électrifier ! Mais au moins c’est concret.
EdB : Oui, c’est encore modeste. Mais le plus important c’est que nous absorbons la courbe d’apprentissage. Nous espérons avec d’autres partenaires avoir électrifié une cinquantaine d’écoles fin 2017. Il faudra alors se tourner vers ces grands organismes internationaux qui ont peut-être des fonds, mais peu de solutions concrètes et efficaces pour amener la lumière au cœur de la brousse ! Je vois ce programme comme une étincelle.
Interview réalisée le 5 Septembre 2015 Par : Fabrice Roszczka